« Nous avons été aveugles pendant longtemps mais depuis 10 ans, le réchauffement climatique a cessé d’être une réalité abstraite. » Constatation sans appel de François Gemenne, qui énumère les records de températures, année après année. « Depuis 2014, il y a chaque année sur les chaînes d’infos en continu des alertes exceptionnelles expliquant que le record de l’année précédente a été battu… On ne peut plus considérer chaque record de température comme un phénomène exceptionnel. Il faut intégrer que nous sommes face à un problème structurel. Ce n’est pas une crise. On fait croire aux gens que c’est certes difficile mais que cela reviendra à la normale. Mais la norme n’est plus celle que nous connaissions au XXe siècle. »
D’où l’importance des solutions et de l’adaptation. « Si l’on parle de crise climatique, les gens s’attendront à des mesures temporaires alors qu’au vu de la situation, il faut des mesures dans le temps. » Pour pouvoir tenir des mesures dans la durée, il faut qu’elles soient choisies, pas imposées. La période du Covid-19 en a été un bon exemple. Il ne faut pas raisonner en termes d’acceptabilité « mais rendre ces mesures désirables », ajoute François Gemenne, précisant « qu’il ne faut jamais minimiser les petites actions. Beaucoup ont tendance à se décourager, pensant que leurs actions ne sont pas à la hauteur face à l’énormité du problème. Pourtant, quand on sait que le problème climatique se jouera à un dixième de degrés de hausse, chaque action, chaque initiative, chaque émission de CO2 évitée sont importants et feront la différence. C’est pour cela que le bâtiment et l’adaptation des logements au réchauffement climatique ont un rôle primordial à jouer. »
Trois leviers d’action
François Gemenne expose trois leviers à activer pour participer à la lutte contre le réchauffement climatique, que ce soit à l’échelle individuelle ou de son entreprise. D’abord avoir une trajectoire crédible, avec des objectifs modestes mais atteignables. Réussir une première action permet non seulement de se donner confiance mais aussi d’aller petit à petit un peu plus loin.
Ensuite, valoriser l’action des minorités et accepter que des initiatives, mêmes minimes, puissent se développer bien plus largement. « Il ne faut pas négliger le mouvement d’émulation. »
Enfin, mettre au point un projet. « Aujourd’hui, l’action climatique est souvent vécue comme une contrainte. Cela parce que l’on a une image assez nette du monde dans lequel on ne veut pas vivre mais pas d’idée précise sur le chemin que l’on voudrait emprunter. La raison ? Parce qu’il n’y a pas de consensus social sur le monde idéal. C’est donc difficile de transformer la contrainte en projet. Si on veut y parvenir, il faut savoir dans quel monde on veut vivre. Et cela passe par la façon dont va habiter la terre. Et donc par le logement. »
Difficulté pédagogique
François Gemenne alerte néanmoins sur une grande difficulté pédagogique à venir. C’est l’accumulation de gaz à effet de serre qui provoque le changement climatique. Sachant que le CO2 reste dans l’atmosphère près de 100 ans, les émissions d’aujourd’hui, même si elles diminuent, s’ajoutent à celles des années précédentes. C’est d’ailleurs en partie pour cela que le réchauffement climatique cause un problème intergénérationnel : les émissions d’aujourd’hui sont dues aux parents et grands-parents de la nouvelle génération.
Tant que l’on n’aura pas atteint la neutralité carbone, les émissions ne diminueront pas. Nous allons donc au-devant d’une grosse difficulté pédagogique. D’ici 2028, les émissions devraient commencer à baisser mais la concentration continuera à monter, ainsi que les températures. Et cela jusqu’à la neutralité carbone. Certains se demanderont donc à quoi sert d’agir puisque cela ne sert à rien. Et cela durera tant que les températures ne baisseront pas. Pour modifier le cours de nos actions, nous avons besoin de voir les résultats. Si nous voulons mettre la société en mouvement, le gouvernement, il va falloir expliquer pourquoi il faut agir. « On parle sans cesse des risques si on ne fait rien mais jamais des bénéfices qu’il y aurait en agissant. Et c’est à travers l’adaptation des logements que l’on peut faire comprendre les choses : confort de vie, baisse des factures d’électricité… Il faut incarner les intérêts immédiats, montrer quelque chose qui sera matériel et tangible. »
* François Gemenne est un politologue et chercheur belge, enseignant vacataire à l'Institut d'études politiques de Paris et directeur de l'Observatoire Hugo dédié aux migrations environnementales à l'Université de Liège en Belgique.