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Face à la nouvelle réalité climatique, protéger les bâtiments historiques et leurs abords par des protections solaires efficaces reste un défi technique et réglementaire majeur. Comment allier confort thermique et respect du patrimoine dans ces contextes complexes ?

Avoir juste des volets. Cet été, comme l’année dernière, les grands titres de la presse nationale relaient les témoignages d’habitants confrontés à des logements devenus invivables lors des vagues de chaleur. Le 29 juin dernier, Libération titrait : «“ La moindre des choses, déjà, ça serait d’avoir des volets ” : à Aubervilliers, dans l’enfer d’un “ logement bouilloire ” ». Ces récits font écho à une étude menée par Pouget Consultants et Ignes, publiée en juillet 2024*, révélant que « près de 40 % des logements n’ont pas de protections solaires suffisantes » sur les façades exposées au sud, à l’est et à l’ouest.

Pourtant, la solution semble assez simple, surtout lorsque l’on sait que la présence de volets permet de diminuer la température intérieure de 2°C lors des épisodes caniculaires, d’après l’Ademe. À l’inverse, comme le soulignait Jean-Luc Boudou, délégué général de Promodul dans nos colonnes en mars dernier, le rayonnement solaire à travers 1 m2 de paroi vitrée représente globalement une puissance de 800 watts.

Mais la mise en oeuvre de solutions telles que les volets ou les BSO est loin d’être évidente pour les bâtiments protégés ou situés dans des périmètres soumis à des contraintes patrimoniales. Peut-on y installer des dispositifs de protection solaire sans contrevenir à la réglementation ?

Cadre réglementaire

« Il faut définir ce que l’on entend par bâtiments historiques », indique Olivier Lerude, chef du Service régional de l’architecture et des espaces patrimoniaux de la Drac Île-de-France, en charge des politiques menées par les Unités départementales de l’architecture et du patrimoine, dont les Architectes des bâtiments de France (ABF). Les monuments historiques sont inscrits, classés et repérés, à l’instar de Notre-Dame de Paris, du Mont Saint Michel ou encore du Palais des Papes en Avignon. « Ce sont des cas très particuliers où, quels que soient les travaux à effectuer, nous sommes le plus souvent dans une obligation de remise à l’identique. »

Les abords des monuments historiques sont également soumis à une protection patrimoniale. Par défaut, cela concerne tout bâtiment situé dans un rayon de 500 m autour du monument. « Ce rayon est un peu arbitraire et remonte très loin dans la législation », précise Olivier Lerude. « Désormais, il est affiné par les périmètres délimités des abords. Il s’agit d’avoir un tracé cohérent avec le monument : certaines zones plus proches peuvent être retirées du périmètre soumis à l’avis des ABF tandis que d’autres peuvent y être intégrées alors qu’elles sont au-delà des 500 m initiaux. »

Enfin, les sites patrimoniaux remarquables (SPR), bien que parfois éloignés d’un monument historique, relèvent également des ABF. Il s’agit de centres historiques, d’ensembles remarquables ou encore d’architecture spécifique. C’est le cas, par exemple, de la cité ouvrière de la Butte Rouge, à Châtenay-Malabry, dans les Hauts-de-Seine.

Paris impose les protections solaires dans son PLU

Les communes peuvent œuvrer à leur échelle à intégrer les protections solaires dans les règles d’urbanisme. Le nouveau Plan local d’urbanisme bioclimatique (PLUb) de la ville de Paris, auquel a contribué l’Agence parisienne du climat, impose désormais l’intégration de protection solaire dans les projets de rénovation et de construction. « Il y a l'obligation, lorsqu'il y a des volets ou persiennes existants, de les maintenir, de les restituer, voire de les améliorer », précise Marin Pugnat, chef de projet Climat et adaptation à l’Agence parisienne du climat. Par ailleurs, qu’il s’agisse de restructuration lourde, de réhabilitation significative ou de travaux de ravalement pouvant inclure des travaux d'isolation par l'extérieur, les façades doivent être équipées de protections contre le rayonnement solaire, sauf lorsqu’elles sont orientées au nord. Cela bien sûr quand les bâtiments ne sont pas sous contraintes architecturales ou patrimoniales qui s’y opposeraient. « Cette obligation n’implique pas automatiquement une validation par les ABF. Leur rôle n’est pas d’appliquer le PLU mais de protéger le patrimoine. Mais cela montre qu’il y a une évolution au niveau de la réglementation qui témoigne d'une prise de conscience : en l’état actuel, Paris n’est pas prête à affronter les températures des années à venir. » Un tel PLU est un atout pour le confort d'été, d'autant plus dans les cas où l'avis de l'ABF est simple et que le service urbanisme a le dernier mot

Avis simple ou conforme

Pour effectuer des travaux dans les abords des monuments historiques ou dans les sites patrimoniaux remarquables, dans le cadre notamment de l’adaptation des bâtiments aux fortes chaleurs, une demande d’autorisation doit être déposée auprès des Architectes des bâtiments de France (ABF). Deux critères principaux guident leur instruction. D’abord, l’impact des éléments à ajouter sur l’homogénéité et la qualité de la façade. Ensuite, la typologie du bâtiment. « Certains bâtiments intégreront plus facilement que d’autres des protections solaires par exemple », précise Olivier Lerude.

Les ABF peuvent alors émettre un avis simple, que les autorités compétentes ne sont pas tenues de suivre, soit un avis conforme, obligatoire. L’architecte précise alors ce qu’il souhaite et donne des prescriptions qui s’imposent aux demandeurs. « L’avis conforme n’existe que pour les sites patrimoniaux remarquables, les périmètres délimités des abords et dans les rayons de 500 m seulement en cas de co-visibilité entre l’endroit où l’on fait les travaux et le monument historique », détaille Olivier Lerude, qui ajoute qu’en termes de quantité d’avis rendus, il y a majoritairement des avis simples. « L’avis conforme est puissant mais concerne des périmètres assez réduits. Les ABF s’efforcent de concilier respect du patrimoine et requête des demandeurs. La dimension patrimoniale de la France est reconnue à l’international, nous l’avons bien vu lors des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024. C’est un point fort. Mais nous avons également une politique de la transition écologique importante. Les cas où il n’y a pas de négociation possible sont assez rares. Concilier les deux est de l’intérêt de tout le monde. »

Consultations préalables

Comment mettre toutes les chances de son côté pour équiper les bâtiments situés dans des secteurs patrimoniaux ou en abord des monuments historiques de protections solaires ? « En travaillant en amont les projets, qui sont traités au cas par cas par les ABF », indique Charles Lemonnier, chef de projet énergie, architecture et urbanisme à l’Agence parisienne du climat. « Les Architectes des bâtiments de France sont garants de notre patrimoine mais incluent également de plus en plus le développement durable. « Un dialogue bien construit avec les ABF, dès la phase de conception, augmente les chances d’acceptation. »

Un point de vue corroboré par Olivier Lerude : « L’avis est rendu sur demande d’autorisation, mais cette dernière se prépare. Lorsque l’on est en espace protégé, il faut impérativement faire une consultation préalable avec un ABF afin de présenter le projet, ses justifications et ses modalités d’intégration architecturale… Il existe de nombreuses façons de le faire : rendez-vous informel, permanences des ABF en mairie, formulaire numérique… »

Les ABF en chiffres

- 20 000 communes concernées par un espace protégé au titre du code du patrimoine ou du code de l’environnement

- 1 000 sites patrimoniaux remarquables

- 45 000 abords de monuments historiques

- 2 700 sites classés et 4 100 sites inscrits (soit près de 6 % du territoire)

- 500 000 dossiers d’autorisations de travaux instruits chaque année, dont 200 000 soumis à l’accord de l’ABF

- 30 % des autorisations d’urbanisme délivrées en France chaque année

- 7 % d’ avis défavorable

- 1 000 recours par an contre l’avis de l’ABF sur les 200 000 avis susceptibles de faire l’objet d’une telle procédure, soit moins de 0,5 %

- 81 % des avis des ABF sont confirmés en appel

Source : Association nationales des architectes des bâtiments de France

Documents d’origine

Il est également possible d’engager des recherches professionnelles sur l’état d’origine des façades. Ce travail rigoureux peut permettre de réintroduire des éléments historiques disparus. « Installer des volets roulants en façade sur rue est généralement exclu. En revanche, il est tout à fait possible de mettre des persiennes sur des immeubles haussmanniens au regard des protections solaires installées à la construction des bâtiments », explique Marin Pugnat, chef de projet Climat et adaptation à l’Agence parisienne du climat.

Enfin, échanger avec les fabricants de protections solaires, interlocuteurs clés, est primordial. « Il existe beaucoup de solutions, mais aussi diverses formes, matières, systèmes de pose… Il est important de créer un projet avec ceux qui imaginent les produits et qui seront à même de les faire évoluer en masquant un coffre, en optant pour un effet de matière ou en modifiant le prototype de départ en fonction du projet, des besoins et des demandes des architectes des bâtiments de France », estime Charles Lemonnier.

1 000 stores pour Lyon 3

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L’entreprise Schenker Stores, sélectionnée pour la fourniture des nouvelles protections solaires, a collaboré étroitement avec les Architectes des bâtiments de France (ABF), soucieux de respecter l’esthétique des installations de 1911. « Grâce aux documents historiques identifiés par leurs équipes, une description technique précise a été retrouvée : rouleau creux, toile chanvre et coton. Les ABF nous ont demandé de reproduire à l’identique ces stores, mais nous avons dû leur expliquer que ces modèles ne sont plus fabriqués. Nous avons également suggéré que c’était l’opportunité d’intégrer des solutions adaptées aux contraintes climatiques actuelles. Le bâtiment, exposé aux vents du couloir rhodanien, nécessitait une réflexion sur la durabilité face à l’environnement extérieur », explique Christelle Bertard, directrice commerciale France chez Schenker Stores. Le dialogue a été constant entre les ABF, l’architecte en charge du projet et les équipes de l’industriel, chaque partie ayant su faire des compromis. Résultat : des protections solaires à la fois performantes sur le plan technique et technologique, assurant le confort des usagers, tout en respectant l’esthétique du bâtiment d’origine.

Le choix s’est porté sur des stores zip, connus pour leur forte résistance au vent. « Nous avons dû intégrer des coulisses, ajoutant ainsi des éléments en aluminium en façade. En revanche, afin de préserver la visibilité totale de la toile, il n’était pas envisageable d’installer un caisson en partie haute. Nous avons donc adapté notre solution en ne conservant que des demi-coffres, positionnés à l’arrière et donc invisibles », précise Christelle Bertard.

Concernant la toile, les ABF souhaitaient un aspect tissé proche de celui de 1911, imposant une toile acrylique. Toutefois, il fallait également respecter les normes de sécurité incendie propres aux ERP, ce qui n’est pas forcément le cas de l’acrylique. « Nous avons eu du mal à trouver mais par chance, Sattler a sorti au même moment une gamme de toiles acryliques classées M2 », indique Christelle Bertard.

De nombreux domaines d’intervention

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• L’isolation par l’intérieur ou par l’extérieur (lorsqu’autorisée), en particulier en toiture. « Les études montrent que le dernier étage est le plus sensible à la chaleur. »

• La ventilation. « Pouvoir ventiler naturellement, avec des courants d’air sur des bâtiments traversants, est idéal. Mais on sait que ce n’est pas toujours possible, loin de là. Il y a des systèmes de ventilation mécanique. »

• Les brasseurs d’air, qui se démocratisent de plus en plus, ou les ventilateurs mobiles.

• Le rafraîchissement adiabatique. « On est en général sur des systèmes actifs mais qui consomment beaucoup moins d’énergie que la climatisation. »

• La végétalisation des abords, et notamment des cours. « Cela permet de réduire significativement la température à l’extérieur. Si en plus on a une ventilation efficace qui peut capter cet air rafraîchi, on sera d’autant plus résilient face à la chaleur. »

« Les interventions sont à privilégier au niveau de l’immeuble, pour le confort d’été comme pour le confort d’hiver », note Charles Lemonnier