Rencontre avec Alain Loyer, médiateur agréé CMAP et expert judiciaire, qui nous explique en quoi consiste la médiation dans le cadre de règlement des litiges entre deux tiers et pourquoi la préférer à l’action judiciaire.

Technic’baie : En quoi réside le principe de la médiation ?

Alain Loyer : Il s’agit avant tout de faire en sorte que les parties concernées trouvent et décident par elles-mêmes la solution à leur litige, le médiateur s’interdisant de le faire. C’est ce qui la différencie d’une décision de justice ou d’un arbitrage, où la conclusion est imposée par un tiers. C’est également légèrement différent de ce que l’on appelle une conciliation, où c’est le conciliateur qui propose – mais n’impose pas – la solution.

Technic’baie : S’il ne suggère pas de piste pour résoudre les litiges, quel est le rôle du médiateur ?

A.L. : Il va intervenir différemment dans plusieurs étapes de la médiation. Dans un premier temps, il permet à chaque partie de s’exprimer. En général, les deux parties s’adressent alors au médiateur, sans échanger directement entre elles. Elles expliquent ce qu’elles ressentent, ce qu’elles ont vécu et comment elles l’ont vécu. Nous sommes à ce moment-là dans une période de tension assez forte, les mots peuvent être durs. C’est d’ailleurs pour cela qu’en introduction d’une médiation, on rappelle toujours l’importance du respect mutuel. Mais cette première phase a l’avantage de permettre à chaque partie d’avoir la version de l’autre et de comprendre comment elle a ressenti ou entendu ce qui s’est passé.

Ensuite, il est souhaitable d’amener les participants à se mettre d’accord sur le désaccord afin de bien comprendre le fond du problème. Il m’est arrivé de constater que la raison officielle du litige était en réalité la partie immergée de l’iceberg.

Technic’baie : Quelle est l’étape suivante ?

A.L. : Les parties vont pouvoir réfléchir à leurs intérêts et leurs besoins. Cette phase est intéressante car elle permet que chacun prenne conscience des besoins de l’autre. C’est souvent à ce moment-là que les parties se reparlent directement. Le médiateur pourra tempérer les échanges ou rappeler un point évoqué précédemment, il accompagne la discussion.

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Technic’baie : C’est le moment de trouver des solutions ?

A.L. : Effectivement. Ou tout du moins, dans un premier temps, de rechercher les objectifs communs afin de commencer à tracer des idées de solutions. Nous demandons souvent aux participants d’être très libres dans ce qui va être proposé, en évoquant toutes les possibilités. On voit parfois une des parties écouter avec intérêt une solution à laquelle il n’avait absolument pas pensé et qui pourrait très bien lui convenir.

Technic’baie : Et si rien n’aboutit ?

A.L. : Dans les propositions, il peut y avoir l’arrêt de la médiation. Parfois, il n’y a pas de solution et une des parties – ou les deux – ne voit pas d’intérêt de trouver une solution à court terme. Il peut être aussi préférable, dans certains cas, de laisser un juge indiquer qui avait tort. Notamment - et cela arrive - si une partie craint de ne pas pouvoir assumer la décision finale. C’est la raison pour laquelle on préfère que ce soit des gens porteurs de pouvoir, idéalement les mandataires des sociétés, qui viennent en médiation. Mais il faut rappeler que la médiation est un acte volontaire, contrairement à une action en justice où le plaignant demande à un magistrat de convoquer l’autre partie. Dans notre cas, le médiateur n’a pas la possibilité d’obliger qui que ce soit à venir. Cela traduit le fait que chacun a envie de chercher une solution. Après, il est toujours possible d’arrêter la procédure au milieu.

Technic’baie : Y compris le médiateur ?

A.L. : Oui, y compris le médiateur. Cela arrive s’il sent qu’une des parties est venue pour « gagner du temps ». Cela ne sert à rien et personne n’a de temps à perdre.

Technic’baie : Y a-t-il une obligation de respecter la solution à laquelle la médiation aboutie ?

A.L : Oui. Au CMAP, chaque partie signe un protocole engageant à mettre en œuvre le protocole signé. Assez souvent, les parties viennent avec leur conseiller, comme leur avocat, qui vont écrire le protocole d’accord. Quoi qu’il en soit, là encore, ce n’est pas le médiateur qui s’en charge. S’il s’agit d’une relation continue entre les deux parties et qu’il y a une nécessité à ce que ce protocole vive dans la durée, il y a toujours la possibilité de le faire homologuer par la justice. Cela devient alors une décision reconnue par la justice avec une obligation judiciaire de s’y conformer.

« La médiation n’est jamais du temps de perdu. Elle peut parfois donner des idées trois mois plus tard, alors qu’elle avait été interrompue. »

Technic’baie : Pourquoi choisir la médiation plutôt que l’action en justice ?

A.L. : D’abord pour la rapidité de la médiation, quand la justice est, elle, soumise à des délais indépendants de sa volonté. Cela peut porter préjudice lorsqu’il s’agit d’exécuter des travaux pour obtenir l’ouverture au public d’un bâtiment ou de recevoir un paiement alors que la trésorerie est déjà en grande difficulté. Le délai d’action d’une procédure judiciaire serait alors un vrai obstacle.

Ensuite pour la confidentialité. Une décision de justice est toujours publique. Lorsque l’on est entrepreneur, on n’a pas forcément envie que l’erreur que l’on a commise puisse être commercialement utilisée par ses concurrents, voire diffusée sur internet. La médiation impose le secret, tout ce qui y est dit est couvert par le secret, de la même façon qu’une discussion entre un avocat et son client. Cela permet de tout se dire, y compris quand l’une ou l’autre des parties reconnaît qu’elle n’a pas fait ce qu’il fallait. Cela ne doit pas pouvoir être utilisé contre elle.

Enfin, les entrepreneurs ne sont en général pas très à l’aise quand une décision est imposée par un tiers. D’autant plus que lorsque l’on va en justice, l’expert qui expliquera le dossier au magistrat aura sa propre vision, sans forcément connaître les tenants et les aboutissants de la situation. La médiation permet de rester maître de sa décision.

Technic’baie : Quelle est la marche à suivre pour entreprendre une médiation ?

A.L. : Tout d’abord, il faut savoir qu’idéalement, il est conseillé d’inclure dans les contrats entre deux entreprises une clause de médiation avant le recours au tribunal en cas de litige. Ce d’autant plus que depuis l’année dernière, concernant les affaires économiques, la majorité des tribunaux demandent qu’il y ait une tentative de médiation avant une éventuelle action en justice. La clause peut citer un médiateur comme le Médiateur des entreprises de Bercy, le CMAP ou d’autres organismes régionaux ou nationaux. Si la médiation est inscrite dans le contrat, il suffit au premier qui le souhaite d’appeler le médiateur.

Technic’baie : Et si le contrat ne le prévoit pas ?

A.L. : On peut suivre le même schéma, mais à ce moment-là, le médiateur va expliquer à l’autre partie quel est l’intérêt de la médiation, pourquoi elle a été demandée et quel est l’intérêt de l’accepter même si ce n’était pas dans le contrat.

La médiation assure rapidité et confidentialité. Elle permet également aux entrepreneurs de rester maîtres de leurs décisions.

Technic’baie : Expliquer l’intérêt de la médiation… Le procédé n’est pas connu ?

A.L. : Sans doute pas assez. Il y a certes eu un coup de projecteur donné par le ministre de la Justice l’année dernière rappelant que c’est une voie légale et pas simplement des discussions abstraites sans vraie finalité, mais ce procédé n’est pas encore assez connu. C’est pour cela qu’il faut en parler, attirer l’attention. Il faut aussi noter une évolution de la position des avocats. Pendant un temps, ils ont pu penser que la médiation empiète sur leur terrain. Mais aujourd’hui, quand on constate le grand nombre d’entre eux qui se définissent eux-mêmes comme des médiateurs, on voit qu’ils ont compris l’intérêt pour leur client plutôt qu’un long procès. Désormais, de plus en plus d’avocats sont les premiers à suggérer la médiation.

Technic’baie : Quels sont les litiges qui entrent dans le cadre de la médiation ?

A.L. : Dans le domaine du bâtiment, c’est avant tout des désaccords sur le décompte général définitif*, que ce soit sur des travaux supplémentaires acceptés mais qui n’ont pas été régularisés et que le client refuse de payer, sur des délais, des pénalités de retard en cours de chantier ou des malentendus sur les contrats de maintenance. Dernièrement, il y a beaucoup d’interventions sur les écarts de prix entre ce qui était convenu et ce qui a été facturé.

Technic’baie : Les litiges sont-ils forcément financiers ?

A.L. : Non, pas du tout. Cela peut être pour des problèmes de management ou entre deux associés. Ça peut d’ailleurs être une solution pour éviter les prud’hommes. Il peut également s’agir de médiation familiale, par exemple dans le cadre d’héritage. Là encore, ce sera plus rapide – et sans doute moins douloureux – qu’un procès.

* Document qui vient mettre un terme juridiquement et financièrement à un chantier